Dans cet ouvrage écriture et arts plastiques se mêlent, s’interpellent, se complètent. Les auteurs y décrivent une quinzaine ateliers de création croisés, insistant non seulement sur le détail des déroulements mais encore sur les partis pris philosophiques et pédagogiques. Ils montrent comment, au carrefour de deux domaines de création trop souvent abordés de manière séparée, des savoirs et des pouvoirs nouveaux se construisent, facteurs d’émancipation.
Dans leur sillage, le lecteur entrera dans le chantier de différents de plasticiens modernes et contemporains : Alechinsky, Bacon, Beuys, Boltanski, Bouheddadj, Chagall, Chaissac, Coste, De Staël, Dubuffet, Kandinsky, Klee, Matisse, Michaux, Picasso, Soulages. Il découvrira à partir d’exemples concrets en quoi les ateliers de création sont des moments particulièrement stimulants pour produire et réfléchir à ce que signifie créer aujourd’hui.
Les ateliers décrits ici ont été menés avec des enfants et des adultes. Ils sont autant de situations dans lesquelles se transforment l’image de soi et la relation à l’autre. On y éprouve et on y partage le pari du « tous capables » avancé par l’Éducation Nouvelle.
L’ouvrage s’adresse à ceux pour qui création et culture ne se réduisent pas à la consommation et qui souhaitent les comprendre de l’intérieur, c’est-à-dire par un faire. Qu’ils soient étudiants, enseignants, animateurs, responsables de structures sociales ou culturelles, simples citoyens curieux, ils y trouveront de quoi alimenter leur réflexion sur l’innovation et la recherche en arts, en pédagogie, à propos de nouvelles formes de travail collectif.
Les auteurs, deux plasticiens, un sculpteur, deux écrivains animent ensemble depuis de nombreuses années des ateliers de création dans le cadre du GFEN Provence (Groupe Français d’Éducation Nouvelle). Ils sont par ailleurs professionnels de la pédagogie et de la formation d’adultes. Antoinette Battistelli est professeur des écoles, maître formateur à l’IUFM de Marseille. Marc Lasserre est instituteur et plasticien. Odette et Michel Neumayer travaillent comme formateurs et analystes du travail. Ils conçoivent et animent des ateliers d’écriture et éditent la revue d’écriture Filigranes. Christiane Rambaud est sculpteur graveur.
SOMMAIRE DU LIVRE
Préface de Joëlle Gonthier, enseignante, plasticienne.
Introduction
Ma première émotion plastique – Un autre rapport à l’art et à la création – Le dialogue arts plastiques / écriture – Un impact à différents niveaux – Éducation Nouvelle et émancipation – Pédagogie et conscientisation – Partage et transmission – Lettre d’après stage – Quel parcours proposons-nous ?
Première partie : Avec et contre la matière
Chapitre 1 : Le triomphe par le ratage même
Dans les parages d’Henri Michaux
Entrées dans l’atelier – Triomphe par le ratage même – Changement de support, changement de décor – Petite théorie du triomphe par le ratage même.
Chapitre 2 : Se confronter à l’indocilité de l’aquarelle
En amitié avec Jean Coste
Une exploration binaire – Détours – Les aquarelles changent de look – Formules à l’œuvre – Le projet plastique – Analyse réflexive.
Chapitre 3 : Rythmer la lumière
Dans l’ombre de Pierre Soulages
Des trouées blanches scandent des plages noires – Du noir, rien que du noir – L’outil n’est pas le noir, c’est la lumière ! – Analyse réflexive – En animation avec des enfants de CE1, récit pédagogique.
Deuxième partie : L’impossible corps
Chapitre 4 : L’art d’accommoder les restes, à Gaston Chaissac
a) Première entrée : « Collages aléatoires ». Portraits de Chaissac – Je dois obéir à mes épluchures – Les collages – Petit théâtre de formes et d’ombres.
b) Deuxième entrée : « La figure du Galvacher ». Ce que je suis capable de faire avec un dessin d’un autre – En peinture, je parle patois. Je fais de la peinture rustique, moderne – Ici l’on métamorphose et l’on bouge – La rencontre de l’expérience et des concepts.
c) Troisième entrée : « Totem est debout ». Phase préparatoire – Dans l’inter fragmentaire du modèle – Décider d’un ordre du visible – La naissance du clan Chaissac – L’histoire du clan Chaissac.
Chapitre 5 : Le réveil de l’homme
Écriture et arts plastiques dans les parages de M’Hammed Bouheddadj
Le voyage – Dans la grotte – Le passage à la troisième dimension – Le réveil de l’homme.
Chapitre 6 : Á fleur de peau
Avec Francis Bacon
Fresques de corps et de visages – Portraits croisés de Francis Bacon – La déformation – Travaillez-les au corps – Provoquer l’accident. Sans repentir – Le triptyque – Analyse réflexive.
Troisième partie : Figurer le monde
Chapitre 7 : Rêver le monde
Marc Chagall et son message – Chantier pour un projet
La commande – Imprégnation et création d’images – Le travail préparatoire – Le projet et son double.
Chapitre 8 : Du rouge dans le paysage
Point – Contrepoint (René Char – Nicolas de Staël)
Mise en bouche – Du rouge !- Transpositions – De la violence à la résistance.
Chapitre 9 : Dans les marges d’Alechinsky
En évolution permanente, les relations du centre et de la marge
Figurer le monde – Chacun sa route dans l’espace du dedans – L’espace commun – Le centre et la marge – Petite théorie du centre et de la marge.
Quatrième partie : Traversée du siècle
Chapitre 10 : Pour un poème affiche
En empruntant les chemins de Wassily Kandinsky
Jeux de cartes – Nomination – Premier voyage : dans l’imaginaire des formes – Second voyage : de l’imaginaire au réel – De la couleur comme déclic pour un poème affiche.
Chapitre 11 : Matisse et Picasso, deux repères dans le siècle
La permanence d’une émulation
Présentation du « carnet de bord » et de son utilisation future – A la découverte de la nature morte – Dialogue aux ciseaux et au pinceau – Étonner l’autre en le copiant – Du carnet de bord au carnet d’artiste – Analyse réflexive.
Chapitre 12 : Albums de famille
Dans les tiroirs de Christian Boltanski
Préambule – Petite mémoire d’une vie – Pantomime – Manège des Vies Oubliées – De la magie du travail de mémoire – Analyse réflexive.
Cinquième partie : L’œuvre et son discours
Chapitre 13 : Paysage mental
Du lieu au non lieu avec Jean Dubuffet
Lecture problématisante – Voyage découverte (Vagabondages ; Parcours, empreintes) – Deux écrits au pas de course – La Riante contrée et sa face secrète – Le carnet peinturluré – Analyse réflexive.
Chapitre 14 : Une ligne attend, espère, repense un visage
Dans la filiation de Paul Klee
Une ligne… – Le cahier généalogique – L’espace de vie – Un seul projet : grandir – Analyse réflexive.
Chapitre 15 : Conférences
En dialogie avec Joseph Beuys
Redécouvrir les 5 sens – Tisser des liens, imaginer des passerelles – Détour, retour. Lavis – Conférence et mémoire – Analyse réflexive : la nouvelle communauté créatrice.
Conclusion : Pour que vive l’option création
Bibliographie
TEMOIGNAGE
Ce livre ne fera pas forcément de vous un écrivain, un artiste ou un pédagogue accompli, encore que…
Ses auteurs opèrent à travers le dialogue entre arts plastiques et écriture un véritable travail de maïeuticiens. Ils vous entraînent dans une entreprise gigantesque, celle de pénétrer à l’intérieur même du processus de création, de le vivre vous-même et en relation à l’autre, grâce à la pratique d’ateliers.
Jusqu’à quarante ans et plus, je n’avais jamais osé penser qu’un jour, je renouerais avec la création plastique. Je croyais que l’expérience douloureuse du lycée et des cours de dessin m’en avaient définitivement fermé la porte. Mon métier (l’enseignement) et mes goûts me faisaient bien sûr m’intéresser à l’art en général et à l’écriture en particulier, mais d’une façon passive, consommatrice : lectures, musées, conférences… Autant de pratiques culturelles et cultivées, mais hautement stériles. Pour que mon point de vue change et pour dépasser mes inhibitions, il a fallu la rencontre de celles et ceux, devenus maintenant mes amis, les auteurs de cet ouvrage et les participants aux ateliers. Cette rencontre date de septembre 1990, trois mois après la disparition de Jean Coste, dont on verra qu’il hante les pages de ce livre. J’aurais aimé le connaître : je ressens toujours sa présence fondatrice, dynamique et bienveillante dans toutes les démarches proposées.
D’emblée, en arrivant dans ce groupe, je me suis sentis bousculée, bouleversée par ces gens qui me faisaient découvrir qu’on ne pouvait aborder l’art et l’écriture qu’en produisant soi-même et en réfléchissant, les deux étant inséparables.
Voir formalisées les démarches que j’ai vécues est passionnant. Que me reste-t-il de ces quinze années de pratique d’ateliers ? Un monceau de notes, quelques productions, des rencontres et des émotions inoubliables. Mais surtout le désir ! Désir d’arpenter encore et encore les chemins de la création pour tenter de comprendre le monde et de le façonner avec les artistes, les écrivains, tous ceux qui ont envie ensemble de trouver de nouvelles voies d’engagement.
En compagnie de Michaux, Coste, Soulages, Chaissac, Bouheddadj, Bacon, Chagall, Char et Staël, Alechinsky, Kandinsky, Matisse, Picasso, Boltansky, Dubuffet, Klee, Beuys… et grâce à nos maïeuticiens-animateurs des ateliers, on voit bien que la création est d’abord un travail, au sens d’une mise en mouvement de tout l’être, un incessant va et vient entre faire, penser, écrire et produire, sans hiérarchie d’une activité par rapport à l’autre, un prise en compte de l’utopie et du possible. Ce processus n’est pas fondamentalement un acte solitaire, il peut se vivre dans la générosité et il vous transforme.
Enfin, j’ai été sensible à la dimension poétique de ces récits d’ateliers : poésie des consignes, poésie de la mise en mots, comme en témoignent quelques fragments prélevés ça et là, au cours de ma lecture :
» L’art est un événement… la mise en travail de ce que l’on porte en soi… »
« S’éloigner un temps des rivages de la pensée ordinaire »
« Face à face avec la matière et le monde »
« Mystère, confiance et audace, triomphe par le ratage même »
Traces…source et ressource… »
« Ne jamais transiger avec la complexité, faire de la création un bien partagé «
Nicole Brachet
Revue Filigranes |