Apprendre à comprendre le monde : le pari de la complexité dès l’école maternelle – Samedi 28 janvier 2017 Bourse du travail, Paris 10è


 

Apprendre à comprendre le monde :

le pari de la complexité dès l’école maternelle

Samedi 28 janvier 2017
Bourse du travail, Paris 10è

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Le monde est complexe, questionner les objets du monde est complexe. Le rapport à soi, aux autres, aux savoirs l’est tout autant. A l’école maternelle, faut-il protéger les jeunes enfants de la complexité de  la  vie,  aller  du  simple  au  complexe  …  ou  bien  les  faire  se  confronter  très  tôt  au  réel  et  leur apprendre à comprendre le monde dans lequel ils vivent ?

Au fil des années, le GFEN a égrené ses Rencontres nationales de l’école maternelle, en s’intéressant aux  rapports  qu’entretiennent  les  notions  de  besoin  (Leontiev),  apprentissage,  développement (Vygotski),  socialisation,  culture.  En  2017,  plus  d’un  an  après  la  mise  en  place  des  nouveaux programmes,  attentifs  aux  différents  aspects  de  la  langue,  le  GFEN  propose  de  réfléchir  à  l’entrée dans le langage oral et écrit dans tous les domaines. Celui-ci est un véritable instrument (Rabardel & Pastré)  au  service  de  la  construction  de  la  pensée,  de  la  catégorisation,  de  la  mise  en  ordre indispensable à l’école pour entrer dans les savoirs et la culture commune (Bernardin).

Sachant  que  les  pratiques  langagières  et  les  compétences  lexicales  sont  des  bons  indicateurs de l’apprentissage  futur  de  la lecture et  de  l’écriture,  il  parait  essentiel  dans  ces  rencontres  d’aider  les enseignants  à  aider  les  élèves  à  parler,  penser,  abstraire,  comprendre…  Il  s’agit  également  de prendre  en  compte  les  données  les  plus  actuelles  des  recherches    pour  qu’elles  viennent  irriguer notre propre pensée, telles que l’étude « Lire et écrire au CP » coordonnée par Goigoux (1) .

Peut-on  proposer  aux  élèves  des  savoirs  exigeants,  des  supports  résistants,  dans  des  dispositifs collectifs et interactifs ? Comment avoir de l’ambition pour eux et créer des situations authentiques pour  apprendre  et  comprendre ?  Quelle  posture  pour  l’enseignant  : verbaliser ce  qu’ils  ne  sont  pas encore  capables  de  décrire  ou  de  commenter,  expliciter  les  séances,  pratiquer  une  évaluation positive qui tient compte des progrès de l’enfant ? Quelle place pour l’apprentissage du vocabulaire et  l’acculturation,  surtout  pour  les  enfants  les  plus  éloignés  de  la  culture  scolaire ?  A  quelles conditions ne laisser aucun enfant au bord de la route, seul face à la complexité du monde ?

Nous  souhaitons  que  ces  rencontres  contribuent  à  développer  « des  outils  pour  la  pensée »  qui soient   « des   instruments   techniques   et   sémiotiques de   développement »   pour   tou.te.s   les participant.e.s (Rochex (2)).

1- L’appui sur la recherche « Lire & écrire au CP », 2015 permet d’inscrire les apprentissages de l’école maternelle dans un continuum. http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire retour texte
2-
Jean-Yves Rochex. L’œuvre de Vygotski : fondements pour une psychologie historico-culturelle. Note de synthèse dans la Revue française de pédagogie n°120, 1997.

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Conférence introductive

Véronique Boiron

enseignante-chercheure, université de Bordeaux, Lab-E3D

« Apprendre à parler-penser ensemble à l’école maternelle :
exemples d’objets de pensée complexes en littérature de jeunesse »

Après avoir présenté le cadre théorique des rapports entre langage et pensée (Vygotski, 1936, 1985), Véronique Boiron illustrera ces propos par des exemples pris dans la littérature de jeunesse à tous les niveaux des classes maternelles, petite, moyenne et grande sections. L’objectif est de tenter de mieux comprendre comment ces tout jeunes apprentis lecteurs apprennent à comprendre des récits de fiction via, notamment, l’élaboration conjointe de significations, de questionnements, de commentaires, d’hypothèses, de reformulations. Ce faisant, c’est le rôle du langage oral dans l’apprentissage de la compréhension qui sera souligné.

Réflexions et échanges autour de questions vives qui traversent l’école maternelle aujourd’hui

1. Evaluer pour fixer ou pour avancer ?

L’école maternelle, sous la pression conjointe  de l’institution, des parents et des enseignants eux-mêmes, a progressivement mis en place des modalités d’évaluation des acquis des élèves et de restitution à leur famille qui a eu pour effet de figer les parcours d’apprentissage, de désigner les meilleurs et les plus fragiles et ce, comme si elle n’avait plus les moyens d’un accompagnement patient et déterminé de chacun d’entre eux vers une réussite atteignable.
Aujourd’hui, le nouveau programme de l’école maternelle ouvre la voie à de nouvelles modalités d’accompagnement et d’évaluation des parcours, fondée sur une observation instrumentée des élèves à partir de démarches ajustées et de modalités d’apprentissages mieux adaptées aux élèves et à leurs besoins.
Evelyne Collin-Rovelas, inspectrice de l’éducation nationale, chargée de mission Ecole maternelle

2. L’enseignement de l’oral… oui, mais comment faire ?

Les enseignants se trouvent souvent démunis face à des enfants qui doivent construire leur position d’élèves, tant sur le plan du comportement que du langage. L’observation des classes met en évidence, outre un glissement vers l’écrit, l’instabilité des pratiques d’enseignement du langage : quel est l’objet de cet enseignement, que doit on enseigner, l’oral s’enseigne-t-il et comment ? Face à ce que Dominique Bucheton appelle « le multi-agenda » de l’enseignant, comment isoler des temps consacrés essentiellement à cet apprentissage et quelles situations proposer aux élèves, particulièrement aux plus jeunes? L’analyse de transcriptions de quelques « moments » extraits de pratiques d’enseignement en Petite Section, nous permet d’interroger des stratégies enseignantes performantes et les réponses des élèves qui s’essaient à mettre en œuvre des usages langagiers nouveaux pour eux.
Maryse Rebière, enseignante chercheure retraitée, université de Bordeaux, Lab-E3D, membre de l’AFEF

3. L’imagination, ça s’apprend ?

Le modèle constructiviste en vigueur s’est souvent traduit dans les premiers degrés de la scolarité par le modèle de la pédagogie de la découverte, doxa qui laisse à l’enfant la responsabilité de ses apprentissages (Caffieaux, 2011) et postule que ce dernier doit découvrir ou inventer les savoirs (Crinon & al., 2008).
Dans la perspective développée à partir des travaux de Vygotski, l’imagination est une fonction psychique appelée à se développer notamment par le biais de l’appropriation d’outils médiateurs, c’est-à-dire l’apprentissage de l’usage des savoirs proposés à l’école. En même temps, cette fonction psychique est au cœur des processus d’apprentissage, elle est nécessaire en algèbre comme en production écrite, en sciences comme en arts, dans tout ce qui requiert une reconstruction créative de la réalité (Clerc-Georgy, 2016).
Anne Clerc-Georgy, Professeure HEP du canton de Vaud, Suisse

4. Quels temps pour apprendre ?

« Le temps est une catégorie de la pensée très abstraite, très complexe. Quand on l’analyse en composantes, on trouve des voies opérationnelles pour faire le lien entre temps et apprentissages. Ceux-ci s’organisent dans le temps long d’un parcours scolaire et le temps court de la journée scolaire ; l’ordre renvoie aux programmations et progressions qui ont besoin d’une certaine quantité de temps pour s’installer « durablement » ; au-delà des phases de découverte et de structuration, il faut des entraînements, des transferts, des révisions. Ils s’enchaînent avec des moments forts et des moments moins exigeants, des moments longs et des moments courts ; une journée est d’autant mieux vécue qu’elle est bien « rythmée ». Les élèves ont besoin de récurrences (l’ordinaire) mais les faits rares qui réenchantent le quotidien sont aussi bienvenus (l’occasionnel). » extrait de Fenêtres sur cours SNUipp
Viviane Bouysse, inspectrice générale de l’Education nationale

5. Quelles idéologies derrière les «innovations « en vogue qui menacent l’école maternelle dans ses missions ?

Alors qu’est affirmée la nécessité d’apprendre l’école pour apprendre à l’école afin de réduire les écarts entre enfants au regard de leur origine socioculturelle,
Alors que la mission assignée à l’école maternelle est de familiariser les enfants avec la spécificité des apprentissages pour qu’ils construisent une posture d’élève,
Alors que les programmes précisent que les activités cognitives de haut niveau sont fondamentales pour donner aux enfants l’envie d’apprendre et les rendre autonomes intellectuellement,
Alors que le rôle du groupe est souligné, qui rend possibles les cheminements individuels…
… des scientifiques, des pédiatres, des think tanks, des médias, des associations se relaient pour promouvoir une autre conception de l’école maternelle et annoncer la bonne nouvelle : la solution est enfin trouvée pour faire réussir les enfants ! Derrière les dispositifs proposés, les expériences relatées, la science convoquée, quelles sont les conceptions du développement de l’enfant, de l’apprentissage de l’élève, du rôle de l’enseignant, des savoirs et de la culture, de la fonction de l’école ?
Christine Passerieux, formatrice d’enseignants, GFEN Paris

Pour aller plus loin, voir la présentation des intervenantes et de leurs travaux.

Ateliers de démarches et témoignages en maternelle autour de situations d’apprentissage

6.  Observer, manipuler des objets pour explorer et « parler » le monde
Les  objets  témoignent  d’une  culture  (conception  et usages).  Par  une  approche  anthropologique d’objets « inconnus », la situation à vivre vise l’analyse de l’articulation entre le geste et la mobilisation d’un langage adapté à l’exploration de cet univers complexe.
Jacqueline Bonnard, GFEN 37 & Damien Sage, GFEN 75

7.  Comprendre la complexité du monde sonore
La  représentation  de  textes  pour  produire  un  spectacle  sonore a  fait  l’objet  d’un  projet  de  classe conséquent,  alliant  un  travail  à  la  fois  sur  la  physique  des  sons,  leur  dimension  musicale,  des pratiques langagières et culturelles.
Sophie Reboul, GFEN 25

8.  Catégoriser pour appréhender la complexité du réel
La  catégorisation  –  et  sa  représentation  –  sont  des  processus  d’abstraction  qui  se  doivent  d’être travaillés dès l’école maternelle comme outil fondamental pour se saisir de la complexité du réel. La catégorisation en classe a porté sur la matière, ses propriétés, ses états.
Catherine Ledrapier & Khoulfia Leonard, GFEN 25

9.  Mobiliser le langage pour réussir des activités physiques
« Faire des exploits avec un ballon », le faire rouler, rebondir, le lancer haut, etc… les élèves agissent d’abord.  Puis,  lors  des  retours  réflexifs,  ils  apprennent  à  verbaliser  et  formaliser  leurs  actions motrices pour mieux les réussir. Le processus « faire, dire, penser » sera analysé dans l’atelier.
Pascale Boyer, GFEN 75

10.  Recréer un texte et entrer dans la compréhension du sens
Faisons le pari que des élèves, même jeunes, peuvent réussir à recréer une poésie ou une comptine, à  l’oral  et  en  collectif.  C’est  le  sens  des  mots  qui  fait  le  lien  et  permet  de  comprendre  la  trame  du texte et non la mémoire d’un mot à mot.
Caroline Pecqueur, GFEN 75

Pour aller plus loin, voir la présentation des groupes qui animent les ateliers

Intervention de clôture
Le grand témoin

Anne Clerc-Georgy s’attachera à tisser des liens entre les différents temps de la journée et à ouvrir des perspectives sur la focale « Apprendre et réussir pour comprendre ».